Une petite mise au point est apparemment indispensable quand on considère certains commentaires plus ou moins agressifs qu’on trouve parfois sur les textes que nous avons interprétés en doublage (et dont généralement je m’épargne maintenant la lecture, d’ailleurs, dès que j’ai compris ce dont il s’agissait).

D’une part il faut bien avoir en tête que doublage est une discipline de l’immédiat. Ça a toujours été comme ça et ça le sera toujours.
Aucune préparation n’est nécessaire. Elle est du reste impossible puisqu’on ne voit rien avant d’arriver en studio et que, la plupart du temps, on ne sait même pas sur quoi on va travailler. On nous demande nos libertés (par SMS aujourd’hui), et on nous convoque pour une date, un horaire et un lieu donnés. On n’en sait pas davantage le plus souvent.

C’est notre bagage de comédiens et notre expérience qui sont notre préparation, de la même façon qu’un ouvrier spécialisé commence un chantier avec son savoir-faire qu’il met au service de la tâche qu’on lui a demandée.

On arrive, on voit une image, une scène, on entend un jeu, un sens particulier, des sentiments, et on doit tout de suite se lancer pour tenter de restituer en français quelque chose à la fois de similaire et de synchrone, avec l’aide du directeur artistique qui peut nous orienter s’il en est besoin, car en principe lui a vu l’oeuvre avant (sauf à la SOFI, à l’époque, où les DA débarquaient sur leurs plateaux sans rien savoir ou quasiment de ce qu’ils allaient devoir diriger, ni avec quels comédiens ils allaient travailler car ils ne faisaient pas non plus leurs distributions).

Il y a plusieurs années, et pour les rôles principaux seulement, on organisait parfois une projection privée des 35 mm d’une certaine importance. Parfois. Mais jamais jamais jamais pour un téléfilm et, on le comprendra encore mieux, pour une série.

Cela nous donnait évidemment la possibilité de voir l’histoire dans son entier et de savoir quel était le caractère du personnage qu’on allait doubler, mais pour autant n’était pas d’une aide primordiale puisque la qualité d’un doublage passe presque autant par le texte de l’adaptation que par le talent des comédiens.

Et tant qu’on n’a pas ce texte sous les yeux en même temps que l’image, tant qu’on n’a pas ce matériau essentiel, ce support, cet outil avec lequel nous fabriquons notre interprétation, on est un peu comme des pâtissiers à qui on dirait qu’ils vont devoir faire un certain type de gâteau sans leur préciser ce qu’on va leur donner comme ingrédients ni comme ustensiles. Ils ne peuvent se mettre efficacement au travail qu’une fois en cuisine avec en main tous les éléments dont ils vont avoir besoin.

Et, soit précisé en passant, avec la paranoïa des clients relative au piratage aujourd’hui, c’est totalement fini. Même sur le plateau, pour les produits « importants » nous avons à présent des copies en noir et blanc non finalisées, plus ou moins floues, barrées en travers sur toute leur surface du nom de la major qui a produit le film ou de la boîte de doublage. De sorte qu’on voit très mal l’image. Il n’est pas rare non plus qu’on ait des copies toutes noires avec seulement un rond s’ouvrant sur la bouche des personnages qui prennent la parole. Eh oui ! Je vous laisse imaginer le confort pour notre travail.

Concernant les produits télévision, certaines boîtes contraignent maintenant les DA à venir chez elles pour les visionner. Ce qui est pratique pour faire une distribution…

Quoi qu’il en soit, et cela a donc toujours été le cas, les comédiens ne voient jamais avant l’enregistrement le produit sur lequel ils vont travailler (sauf parfois dans le passé, et exceptionnellement, comme je l’ai précisé plus haut).

D’autre part, et c’est le point essentiel de ce que je veux dire, il est nécessaire de rappeler qu’il y a des auteurs dont c’est le travail de faire les adaptations. Sur le plateau on ne peut juger leur boulot que lorsque la version originale est en anglais, que la plupart des comédiens maîtrisent suffisamment pour voir si ce qu’on leur propose en français est pertinent, ce qui est plus rare avec d’autres langues européennes comme l’allemand ou l’espagnol. Et, évidemment, rarissime avec le japonais.

Par conséquent, s’agissant des langues qu’on ne comprend pas, on ne peut que se fier à l’auteur, c’est-à-dire à ce qu’on lit sur la bande rythmo. Et on ne se permet de le corriger que, et uniquement que, lorsqu’il y a des fautes de français, des incohérences manifestes avec l’histoire, des problèmes de synchronisme, ou des tournures maladroites. Sinon nous n’avons exactement aucun moyen de savoir si l’adaptation est fidèle à l’original.

Il faut aussi rappeler que, quelle que soit la langue, le client peut avoir l’exigence qu’on ne touche pas un mot de l’adaptation qu’on nous projette.

De toute façon la responsabilité d’un doublage a été confiée à un directeur artistique C’est lui qui le plus souvent décide une modification de texte, s’il en a le droit, et en tout cas c’est lui et lui seul qui est habilité à accepter ou refuser les changements qu’un comédien peut lui proposer. Et le dialogue avec lui est plus ou moins facile et ouvert.

Eh bien malgré tout ça qu’on se tue à répéter, il surgit malheureusement toujours des imbéciles patentés (oui, allez, pour une fois je vais sortir de mon ton habituel plus… diplomate dirais-je) qui ne veulent rien entendre et s’obstinent à nous reprocher, à nous comédiens, de n’avoir pas dit ce qu’il aurait fallu sur Dragon Ball par exemple (on l’aura peut-être compris, c’est à ça que je pense en particulier lorsque j’écris tout ceci) en nous taxant d’indifférence, de mépris pour le produit, ou que sais-je encore. Ce qui procède d’une méconnaissance totale de la façon dont les choses fonctionnent dans le doublage, et relève donc de l’art profondément stupide mais hélas très répandu sur les réseaux sociaux de gloser d’une façon péremptoire sur ce qu’on ne connaît pas.

Il aurait fallu qu’on se « renseigne » ! Mais qu’entendent-ils par « se renseigner » ? Où, comment, à propos de quoi ? Sur tous les mots et les expressions ? Nous ne savons pas sur quoi on va travailler, je le répète, et nous n’avons de toute façon jamais accès avant aux produits dont on va faire la version française.

Et quand bien même cela nous serait-il possible, nous ne pourrions rien en faire quand on n’en comprend pas la langue originale. Sans compter que nous n’aurions pas assez de 24h s’il fallait regarder avant tout ce sur quoi on a été distribués.

Alors, me concernant, il est vraiment d’une bêtise abyssale de me souhaiter le pire parce qu’à l’époque j’ai osé dire « Attention » (comme c’était écrit sur la rythmo) au lieu de « Final Flash » et d’en déduire que je suis le plus pitoyable des comédiens officiant dans le doublage, et le plus vil des criminels ayant massacré par désintérêt le texte d’une oeuvre culte.

C’est d’autant plus absurde que, lorsque nous avons enregistré Dragon Ball Kaï, prévenu que j’avais été du crime que j’avais commis sans le savoir ni le vouloir quelques lustres auparavant, j’ai exigé de moi-même sur le plateau de rétablir ce fameux « Final Flash » à la place de ce que l’auteur avait écrit, qui n’était pas ça et allait par conséquent de nouveau déchaîner des violences verbales à mon encontre. Je n’ai pas rencontré d’opposition, mais j’aurais tenu bon de toute façon.

Je précise du reste qu’à l’époque de DBZ personne ne savait que cela deviendrait une série culte, que les boîtes de doublage et les chaînes n’accordaient aucune importance aux animés japonais sinon celle de remplir une grille de programme, que certains directeurs artistiques les traitaient avec dédain, et que les auteurs en particulier n’avaient par conséquent aucune raison de chercher à traiter celui-ci avec un respect religieux. Ils étaient du reste nombreux à oeuvrer dessus, n’avaient pas de liens entre eux, et se fondaient souvent sinon toujours sur des traductions anglaises qui pouvaient déjà comporter des déformations.

Et contrairement à ce que peuvent penser bon nombre d’abrutis, notre équipe n’était composée que de gens consciencieux cherchant à faire pour le mieux sur le plateau avec les moyens qu’on leur donnait.

Avec les moyens qu’on leur donnait… car, pour notre part de comédiens, nous étions, nous sommes et serons donc toujours au bout de la chaîne. Notre responsabilité n’est jamais que de tenter de délivrer une interprétation correcte, qui n’est pas une caution apportée au texte avec lequel nous la faisons. Elle n’était pas, n’est toujours pas et ne sera jamais rien d’autre.

Nous sommes amenés à jouer du pire au meilleur des textes et notre jugement sur leur qualité n’a et ne peut avoir aucun impact sur qui que ce soit dans la chaîne. Personne ne nous le demande. Notre place dans la fabrication d’un doublage est bien définie, comme celle de chacun.

Voilà qui devait être dit une bonne fois et répété aux crétins de tout poil incapables de le comprendre par eux-mêmes ou qui refusent de l’admettre, qui confondent avec une blessure d’ego l’agacement que leur entêtement obstiné provoque, et qui pourraient finir par m’exaspérer si je me laissais aller à leur accorder une véritable l’importance. 😀