Voici un texte que j’avais écrit il y a quelques années mais que je ne m’étais pas décidé à publier et que j’ai envie aujourd’hui de mettre en ligne, même s’il y aurait certaines petites choses à y modifier à l’heure qu’il est.
 L’essentiel en est toujours valable.

Après le déferlement de commentaires divers (bons et mauvais) qui ont été laissés ici et là et de messages que j’ai pu recevoir, en public ou en privé, suite à la mise en ligne de ce petit canular téléphonique très banal auquel je me suis prêté récemment dans l’émission de Vinz sur Fun Radio, j’ai envie de publier ici les réflexions qui me sont venues à l’esprit.

Comme toujours, elles seront par certains mal lues, mal comprises, mal interprétées, voire mal répétées, mais tant pis. J’ai compris depuis longtemps que, quoi qu’on fasse ou qu’on dise, c’est toujours le cas, que les mots n’ont pas le même sens pour tout le monde et que, quand on a affaire au plus grand nombre, il vaut mieux prendre une fois pour toutes le parti de se taire si on veut éviter ces désagréments. Au moins il ne reste que le silence à interpréter, ça évite déjà les mauvaises traductions…

Sauf que ce n’est pas dans ma nature ! Je pense qu’il est préférable d’essayer d’exprimer les choses et que rien ne progresse jamais si personne ne dit jamais rien. Alors je parle à l’intention de ceux qui comprendront ce que j’avais envie de transmettre. Et puis, concernant ma personne, ça n’a guère d’importance au fond ce qu’on pourra en dire ou en penser, je ne suis ni un homme politique ni une star qui doit faire attention à son image pour préserver sa carrière. Or donc…

Je suis resté pantois de l’invraisemblable nombre de vues de cette petite vidéo (plus de 840.000). Jamais au grand jamais je n’aurais pu imaginer ça. Ça me donne une fois encore une idée de l’impact que le personnage de Végéta (pour ne pas dire de DBZ en général) a pu avoir dans le public, et je parle bien du personnage et non de moi-même ni de la voix que je lui ai donnée en français, qu’on ne se méprenne pas.

Mais, sauf quand il est sur une scène face à une salle de spectateurs, un comédien comme moi (qui n’est pas une vedette médiatisée, s’entend) ne peut que difficilement intégrer vraiment l’effet sur le public de l’œuvre sur laquelle il a travaillé et de son travail à lui en particulier. Et c’est vrai particulièrement quand il s’agit de doublage, puisqu’il n’a même pas donné ses traits mais seulement sa voix, c’est-à-dire une part impalpable de lui-même, et à quelqu’un d’autre en plus.

Alors si, oui, je sais depuis longtemps maintenant que cette série et, peut-être, ce personnage en particulier, ont eu un retentissement énorme et ont marqué un nombre incroyable de spectateurs. Mais, même si j’ai eu un certain nombre de fois l’occasion de constater ce succès d’une façon… on va dire physique (lors de conventions, par exemple), il me faut néanmoins toujours des rappels de ce genre pour être certain que je n’ai pas rêvé et que ce n’est pas une vue de l’esprit.

On travaille dans le noir, 9h30 – 18h30, train-train habituel d’un salarié intermittent du spectacle, sur quelque chose qu’on n’a pas choisi de faire (je parle bien de doublage), on sort du studio, on rentre chez soi, et… on oublie… car on travaille sur autre chose le lendemain pour gagner sa croûte. Car, oui, quand on n’a pas de fortune personnelle il faut bien remplir son porte-monnaie, n’est-ce pas ! Alors, en effet, je ne fais pas du doublage pour la gloire ou le plaisir de l’art mais bel et bien pour être rémunéré, je travaille « pour de l’argent », ce qui apparemment semble honteux pour certains qui me le reprochent.

Et puis notre boulot s’envole ailleurs, ce qu’on a fait va vivre sa vie ensuite tout seul derrière nous. On n’en a éventuellement des retombées que bien plus tard et, quoi qu’il arrive, elles restent toujours quelque chose de… comment dire… virtuel.

En tout cas c’est comme ça pour moi.

Surtout que, même quand il s’agit de succès publics phénoménaux, ça ne change rien à notre statut, on n’a pas plus de travail ou de reconnaissance professionnelle pour autant, on est toujours soumis à l’incertitude du lendemain, on n’est pas davantage « reconnu » qu’avant par nos pairs, on ne devient pas un objet de luxe plus cher et on ne sera pas invité chez Michel Drucker (ce n’est pas un regret de ma part, c’est une image – et je ne critique pas non plus Drucker en disant que ce n’est pas un regret, qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit).

Alors on peut ne pas être à la hauteur du succès de quelque chose, c’est vrai. Ne pas savoir l’être. Voire ne pas avoir véritablement envie de chercher à l’être. Car ce succès, ce que nous en vivons de notre côté et ce que nous avons vécu du travail qui en est à l’origine, sont des choses bien différentes. Ce succès nous dépasse dans des proportions extrêmes. Il a enflé et pris de l’importance sans nous, d’une certaine façon (même si c’est peut-être un peu grâce à nous). Il se pointe à notre porte un peu comme un étranger qui s’inviterait chez nous en se présentant comme un cousin dont on aurait entendu parler parfois mais dont on ne connaitrait rien ou pas grand-chose, qui considérerait pourtant comme normal d’être accueilli comme si on l’avait toujours fréquenté, et d’être fêté et honoré parce qu’il serait un personnage célèbre dans son pays lointain.

Or il y a bien des chances qu’on le reçoive au contraire avec beaucoup d’étonnement d’abord puis une certaine réserve ensuite, pour ne pas dire une forme de froideur ou ce qui peut y ressembler, et quelques maladresses enfin malgré le gros bouquet de fleurs qu’il aurait entre les mains. Et ce cousin alors en serait surpris et nous le reprocherait. Aurait-il raison ?

Pour ma part en tout cas, il n’est pas aisé de faire vraiment profondément le lien entre Végéta, par exemple, et moi-même-personnellement-je-au fond. Il est un personnage, j’ai travaillé dessus, mais il vit ailleurs, c’est-à-dire dans la tête de milliers de fans, une vie étrangère qui n’est pas la mienne et dans laquelle Eric le bonhomme privé n’a aucune part.

Bien entendu l’enthousiasme et les compliments me touchent vraiment (merci au passage pour tous vos gentils messages), et les critiques ne me laissent pas indifférent. Il n’empêche malgré tout qu’à chaque fois j’ai un peu l’impression que tout cela s’adresse à quelqu’un qui est derrière moi. Ou à un autre moi que moi.

Moi j’ai continué ma route et vieilli de mon côté. Lui il est devenu célèbre et il restera éternellement jeune… Je pense tout à coup à tous ces commentaires (« c’est un vieux! », « c’est un daron », « mon rêve s’effondre », « ça m’a tué le mythe », « je suis moins amoureuse de Végéta », etc.) qui parlent de moi l’homme, qui n’a rien à voir avec le personnage qu’il a commencé à faire il y a quasiment 30 ans, et qui d’une certaine façon m’agressent alors que je n’ai rien à voir avec le dessin qui parle avec ma voix.

Ce dessin, il a cristallisé des rêves, des émotions et il a pris une place très importante dans le mental des milliers de spectateurs. Mais tout cela en-dehors de moi, à mille lieues de moi. Je ne suis pas lui, il n’est pas moi, nous ne vivons pas dans le même monde. Il est et restera Végéta, je suis et resterai Eric, je travaille maintenant sur d’autres choses, je suis parti ailleurs, mon lien avec lui n’existe en vérité que dans une sphère intangible, virtuelle, et je n’y pense pas, je n’y pense plus pour autant qu’on ne me le rappelle pas. J’ai, par ailleurs, oublié bien des choses des histoires dans lesquelles il a évolué, si tant est même que j’aie jamais bien tout intégré au moment où je le faisais. Je pense là à ce commentaire : « Il n’a même pas reconnu Gogeta ».

Ce n’est pas de l’indifférence ni du mépris, c’est ma vie professionnelle dont il a été une étape comme une autre sur mon trajet. Comment l’internaute qui a écrit (je cite) : « Il aurait pu en faire un fond de commerce à faire du fanservice » imagine-t-il que j’aurais pu faire ? En aurais-je eu l’envie que cela n’aurait pas été possible. Cela n’existe pas.

Ce même internaute, un membre de la famille d’une jeune femme à laquelle j’avais, poliment et courtoisement je crois, refusé ce qu’elle me demandait, a aussi écrit (je cite) : « Ce mec est un pauvre type la copine de mon frérot l’avait contacter pour lui faire un canular téléphonique à l’occasion de son anniversaire il l’a envoyée chier violemment sous prétexte que monsieur ne supporte pas qu’on l’emmerde avec ça pas étonnant que son apparition lors de cette émission soit pourrie et pas marrante.. Encore un guignol qui a profité du succès de la série et qui ne rend pas hommage au personnage »…

Je ne commenterai pas le « envoyée chier violemment », ce n’est pas mon propos ici (sauf en disant que nous n’avons apparemment pas la même idée de ce qui est violent et de ce que peut être « envoyer chier » quelqu’un). Ce qui m’a intéressé – car ce n’est pas la première fois que je lis une chose de ce genre – c’est le « profité du succès de la série ».

Je n’imagine pas de quelle façon les gens peuvent penser que nous « profitons » du succès d’une série animée. A part être invités ici et là et, quand on accepte, ne pas forcément y aller en première classe, « profiter » de quelques heures de liberté dans une ville qu’on ne connaît pas forcément au cours d’un week-end assez fatigant généralement ainsi que d’un ou deux restaurants plus ou moins bons, le seul profit que l’on peut en tirer ce sont un mal de crâne térébrant à la fin de journées très bruyantes et une crampe à la main après avoir signé des kyrielles d’autographes dont on sait que, quelques années plus tard, ils termineront probablement à la poubelle ou au grenier (dans le meilleur des cas).
Alors, oui, il y aura eu des accueils par certains organisateurs merveilleusement prévenants et amicaux, des rencontres avec des tas de fans souvent adorables, ce qui est extrêmement sympathique et gratifiant, c’est vrai, et qui rend ces escapades fort chaleureuses et agréables au bout du compte. C’est d’ailleurs pour ça que je les acceptais de temps en temps (fort rarement à présent).
Mais la réelle notion de « profit » est singulièrement absente de notre vécu parallèle au succès d’une série dont on a enregistré les voix.

Par ailleurs il est intéressant aussi de voir comme on peut confondre ce que fait la personne publique (ou qui est publique de temps à autre, comme moi) et ce que peut faire la personne privée. Accepter, par exemple, de faire quelque chose pour les auditeurs, dans un studio, dans le cadre d’une émission où l’on a été invité, parce qu’on est un peu au pied du mur et qu’il deviendrait malséant de refuser, et accepter (ou plutôt refuser) de se mobiliser pour le faire en privé comme ça, pour quelqu’un qu’on ne connaît, pas sont deux choses qui n’ont exactement rien à voir. Il est déconcertant de voir comme cela n’est pas évident pour tout le monde.

Sans compter que le spectateur qui envoie une demande unique ne se rend pas compte que, de quelque ordre qu’elle soit, elle n’est que rarement la première du genre pour le comédien comme moi qui la reçoit (oui, il y a toujours une première fois, c’est vrai, mais pour ma part j’ai passé ce stade des premières fois, croyez-moi, j’ai déjà dû tout voir !), et qu’elle s’ajoute donc à une liste souvent assez fournie de demandes similaires.
Pour ma part j’essaie toujours malgré tout de répondre en expliquant les raisons de mon refus quand je refuse. On m’en veut parfois brutalement par la suite, je le découvre, et ça fait ma stupéfaction. Le silence, là encore, serait donc sans doute l’attitude la plus confortable pour moi au départ. Mais… Je ne me lasserai jamais d’essayer la transparence, quitte à lire après (je cite) : « Mais il fait le mec super proche de ses fan mais wallou il s’en bah les couilles »…

Ce que nous faisons, je parle de notre travail, et les retombées que cela aura par la suite sont des choses qu’il peut nous être difficile de… comment dire… mettre en rapport. On est confronté parfois à des avalanches de réactions qui ont pour nous quelque chose d’une invasion alien dont il faudrait que nous considérions que nous en sommes la cause alors qu’elle provient d’une planète qui nous est étrangère en réalité, même si on en a entendu parler.  

De la même façon, nos réponses à ces réactions déclenchent quelquefois d’autres réactions qui dépassent d’une façon totalement disproportionnée le cadre de la lucarne par laquelle nous voyons tout cela de notre côté de travailleurs de l’ombre (lorsqu’il s’agit de doublage).

Le public voit les choses à travers un prisme déformant qui les embellit. Nous les voyons pour notre part à travers cette lucarne qui a été le cadre de notre travail, sans dorures, sans strass ni paillettes, et sans émotions très remuantes le plus souvent.

Et je ne me plains pas ! Je remets les choses à leur place. Et puis je parle de doublage, qu’on soit bien d’accord, et de voix de personnages d’animés en particulier.

840.000 vues. Ça me dépasse, je ne comprendrai jamais, je ne peux pas comprendre et, de tout ce qui a été écrit à la suite de ces vues, en bien ou en mal, j’ai un peu envie de dire : « Mais c’est vraiment de moi que vous parlez ? Il y a erreur sur la personne ! ».

Voilà. Sur ce je vais me taire ! J’ai vraiment trop parlé tous ces temps  derniers.

ET SOYEZ GENTILS : n’écrivez pas d’insultes à l’encontre des internautes qui ont écrit les choses désobligeantes sur moi dont je parle. Ça ne sert à rien et je n’aime pas ça. Je n’écris pas pour leur répondre, du reste, d’autant qu’ils ne liront pas tout ceci et que, s’ils le lisaient, ils y trouveraient de toute façon de quoi m’invectiver.
En le publiant je ne cherche ni les compliments, ni les encouragements, ni à être défendu, ni quoi que ce soit de ce genre. Je ne cherche pas non plus à me défendre moi-même ou à me justifier. C’est… allez, comme si je répondais à une interview au cours de laquelle on m’aurait demandé : « Que pensez-vous de ces centaines de milliers de vues ? » et que je veuille répondre un peu plus que : « Ouais, c’est mortel ! ».