On rencontre beaucoup de jeunes gens déclarant chacun à leur façon leur passion pour le doublage, affirmant être décidés à tenter l’aventure et demandant comment on peut faire. Il n’est donc peut-être pas sans intérêt de faire une petite mise au point sur la question.

Je crois pour commencer qu’il est essentiel de faire comprendre que, contrairement à ce qui peut malheureusement se lire dans les journaux (dont force est de constater que, la plupart du temps, les articles sur des sujets particuliers comme celui-ci sont inexacts, incomplets, mal renseignés, pour ne pas dire bâclés) et sur les sites Internet qui parlent de la chose (et même dans le dictionnaire…), le terme « doubleur » est totalement erroné (en France en tout cas) lorsqu’il désigne les personnes qui prêtent leur voix en français à un acteur étranger (et je ne parle même pas de l’expression « doubleur de voix », puisqu’on se demande ce qu’on pourrait doubler d’autre).

C’est une erreur de terminologie, un abus de langage. Il est vrai hélas que cette façon de dire est répandue car elle est en effet commode pour distinguer le comédien qu’on entend de celui qu’on voit à l’image, mais elle doit à mon sens être absolument combattue.

Pourquoi ?
Pour deux raisons.

D’abord pour être en accord avec les usages professionnels.

En effet, pour les gens du métier un comédien reste un comédien, quel que soit le domaine dans lequel il exerce son activité.
Nous ne parlons absolument jamais de « doubleurs » (1) entre nous lorsque nous parlons de comédiens qui font du doublage. Seul le profane désigne ces derniers comme « doubleurs ».
Parle-t-on d’ailleurs de « téléviseurs », de « cinémateurs », de « radioteurs », de « publiciteurs », de « théâtreurs »… ? Non.
Du reste, la qualification « doubleur » n’existe pas dans le code du travail.

Le terme « doubleur » existe bel et bien mais, dans notre langage, définit uniquement un entrepreneur qui a une société de doublage.

Ensuite, et surtout, parce que cette appellation est dangereuse. Elle induit en effet l’idée que le doublage est une fin en soi, une activité envisageable en elle-même. Ce qui éveille toutes ces vocations qu’on voit apparaître sur les forums.
On peut d’ailleurs les comprendre et, en somme, il est même assez flatteur de voir que notre travail peut susciter de l’engouement.

Mais le doublage n’est rien d’autre qu’une des nombreuses façons de faire l’acteur, d’exercer un boulot de comédien. Ce n’est pas un métier en soi ! En conséquence cela demande une formation de comédien ou, tout au moins, un désir d’en devenir un (et non pas de devenir un « doubleur ») avec tout ce que cela comporte : je veux dire l’envie, outre de parler dans un micro, de monter sur scène et de tourner devant une caméra. On n’entre pas en doublage par vocation. Le doublage n’est pas un choix de carrière a priori.
Non, on tente sa chance dans la vie en tant que comédien, et puis on se met à faire du doublage, un peu, beaucoup, énormément voire exclusivement à la longue, mais cela vient ensuite, après, en plus !
J’en profite pour préciser au passage qu’on ne choisit pas davantage de doubler des dessins animés qu’on ne choisit de doubler « Les feux de l’amour » ou les films de Woody Allen.
On vous le proposera un jour, ou jamais ! Et si on peut toujours refuser une proposition, bien entendu, on n’a exactement aucun contrôle sur celles qu’on vous fera.

Tous les comédiens qui font du doublage font ou ont fait autre chose (théâtre, cinéma, télévision, radio, etc.) et n’ont jamais souhaité comme un but en soi faire du doublage, à part quelques rares exceptions et sans parler de ceux qui, plus ou moins par hasard, ont commencé enfants (et tous, une fois adultes, finissent d’ailleurs généralement par chercher un jour ou l’autre à jouer la comédie sur scène ou devant une caméra). Pas plus que de « doubleurs » on ne parle donc de « comédiens de doublage ». La précision est superfétatoire. Il n’est guère plus sensé de parler pas de comédiens « de théâtre », « de cinéma », « de télévision » ou de quoi que ce soit d’autre, d’ailleurs. Il n’existe que des comédiens tout court, qui passent d’une discipline à l’autre, qui pratiquent leur métier, un jour (ou le matin) dans telle activité et le lendemain (ou le soir) dans une autre, même s’il se trouve souvent qu’une activité est ou devient prédominante et même si on y acquiert donc une plus grande maîtrise à force de l’exercer.
Allez donc lire les interviews des comédiens sur RS DOUBLAGE !

Et il n’y a pas « d’annonces de doublage », on ne « s’inscrit pas » à des sociétés de doublages, il n’y a pas « d’auditions » ni de « castings », il n’y a pas « d’agences spécialisées », on n’envoie pas de « CD de démo » à qui que ce soit.

Au cours de sa vie professionnelle de comédien on rencontre quelqu’un qui vous présente à un directeur de plateau, lequel acceptera de vous écouter un jour s’il a le temps.
Ou bien on travaille avec un partenaire comédien qui par ailleurs dirige lui-même des plateaux et vous propose de venir faire un essai parce qu’il a apprécié votre nature.
Ou bien encore, dans le cadre de sa recherche de boulot en tant que comédien, et de la même façon qu’on court les castings ou les auditions théâtrales, on cherche à assister à des enregistrements en allant frapper à la porte des studios. Et puis, à la longue, on demande si on peut essayer de voir ce qu’on donne au micro. Cette technique s’apprend sur le tas (2).

Contrairement à une idée répandue, le doublage est un secteur extrêmement ouvert où l’on peut facilement rencontrer les gens (3). C’est même probablement celui dans lequel un comédien peut le plus facilement tenter sa chance. Mais il n’y a pas un directeur de plateau qui vous fera simplement passer un essai (car c’est toujours par ça que ça commence, bien entendu) si vous débarquez un beau jour dans un studio en disant que vous rêvez de faire ce boulot parce que ça vous semble amusant ou passionnant, parce que vous imitez bien les gens, parce que vous avez une voix dont vous faites ce que vous voulez, mais que vous n’envisagez pas pour autant de faire autre chose en tant que comédien et que vous n’avez aucune expérience ni aucune formation en art dramatique.
Ou alors il faudrait vraiment que vous ayez une voix exceptionnellement originale et, très apparent, un talent inné fou. Ou encore que le directeur artistique auquel vous vous adressez soit particulièrement de bonne humeur ce jour-là…

Mais, après tout, si vous croyez être fait pour ça et si vous n’avez envie que de jouer avec votre voix, essayez donc !
Ne dit-on pas que la fortune sourit aux audacieux et que qui ne tente rien n’a rien ?
Rien n’est jamais définitivement impossible et ça encore moins que le reste.

Je vous conseille cependant d’assister un bon nombre de fois à des enregistrements avant de vous lancer à demander si vous pouvez faire un essai. Il s’agit quand même d’une technique très particulière qui ne se maîtrise pas si facilement et il n’est pas inutile de voir faire ceux qui en ont l’habitude.

(1) J’en profite pour préciser que le mot « doublure » est encore moins adéquat.
Au théâtre il désigne le comédien prêt à reprendre un rôle au cas où le titulaire de celui-ci (malade, par exemple) ne pourrait pas assurer la représentation.
Au cinéma il désigne la personne qui prend la place d’un comédien pour le réglage des lumières ou encore pour une cascade.
En doublage il ne désigne rien du tout si ce n’est, comme partout ailleurs, l’étoffe qui garnit l’intérieur de votre vêtement…

(2) Néanmoins on trouve à présent quelques structures sérieuses où l’on peut se frotter à cette discipline au cours d’un stage, que l’A.F.D.A.S. peut financer pour les comédiens professionnels sous certaines conditions.

(3) Juillet 2020 : fort malheureusement, avec la paranoïa démentielle relative au piratage qui s’est assez récemment emparée des clients et la crise de la Covid-19, les studios se sont fermés et leur accès est devenu quasiment possible. Espérons que cela n’aura qu’un temps…