Quand je dis que le doublage est une activité de comédien, je veux dire que c’est une activité qui ne se résume pas à dire des mots devant un micro et qu’il est préférable d’avoir suivi des cours de comédie, d’avoir une formation minimale. C’est une activité pour des gens qui ont une conscience de comédien, c’est-à-dire qui ont une envie de jouer la comédie de toutes les façons possibles (sur scène, devant une caméra, devant un micro). Et je veux dire aussi par-là que c’est une activité un peu desséchante et dans laquelle on n’évoluera guère je pense (je parle du jeu) si elle est exercée seule, sans « ressourçage » ailleurs ou sans expérience de jeu parallèle.

Mais on peut très bien avoir du talent et devenir un vrai comédien sans passer par quelque formation que ce soit, de la même façon qu’on peut avoir suivi tous les cours du monde et néanmoins être mauvais et le rester. Il n’y a pas de trajet obligé ni de schéma absolu. Etre comédien c’est plus un état qu’autre chose, au fond. Une conscience (j’y reviens) de ce qu’est « jouer ». On ne devient pas comédien, je crois. Ou c’est rare (quelques jolies filles qu’on a fait tourner pour leur physique et qui ont appris à la longue à jouer correctement alors qu’au début de leur carrière elles étaient à foutre par les fenêtres et comédiennes comme moi je suis pape – non je ne donnerai pas de nom). Il me semble qu’on l’est au fond de soi et qu’on acquiert de l’expérience, c’est tout. On apprend à utiliser son instrument et on l’affine. Et on peut le faire plus ou moins bien, avec plus ou moins de génie. De la même façon qu’il y a eu Mozart et Salieri, par exemple.

Quoi qu’il en soit, le doublage a ceci de particulier qu’il y faut un double talent (pour le faire bien). Il exige d’abord qu’on ait réussi à acquérir une technique très particulière et il demande ensuite une capacité très spéciale de jeu : en effet il faut à la fois de l’oreille et un don de mimétisme et de reproduction. C’est-à-dire l’intelligence du jeu de quelqu’un d’autre, de son rythme, qu’il va falloir reprendre à son compte et adapter à notre langue et au texte qu’on nous propose. Alors non, tous les comédiens ne sont pas capables de le faire. Avoir ce double talent n’est pas donné à tout le monde.

Le premier, déjà, est très spécial. On peut ne pas se sentir tout de suite à l’aise devant une caméra, maladroit sur une scène ou gêné par un micro de radio, parce que ce sont aussi des techniques à apprendre et apprivoiser, il s’agit également d’y acquérir un savoir-faire particulier et différent. Mais ces techniques-là ont des contraintes qui se dominent plus aisément je pense. Avec le temps et l’expérience on finit toujours par les acquérir. Alors qu’on peut rester réfractaire à la technique du doublage, qui est quelque chose de moins « naturel », de moins « normal » pour le jeu, si j’ose dire. Il y a des tas de très bons comédiens qui ne peuvent pas s’y faire, qui ne peuvent tout simplement pas se mettre en phase avec elle.

Et le second talent dont je parle est beaucoup plus rare. A mes yeux, ils ne sont pas si nombreux ceux qui l’ont et sont en même temps capables de jongler techniquement avec une bande rythmo, de sorte qu’ils vont faire un bon boulot. Tandis que je connais des tas de comédiens qui dominent très bien la technique mais font pourtant un travail de doublage très médiocre.

Et puis, je dois aussi ajouter qu’on peut être bon devant une bande rythmo et beaucoup moins convaincant sur une scène quand on est livré à soi-même.
De la même manière on peut être excellent sur une scène et très moyen devant une caméra (où le travail est différent et pour lequel on n’a pas du tout répété de la même façon).
Et, bien sûr, on trouve à l’inverse des comédiens qui ont une aura et une sensibilité sur l’écran que la scène et ses contraintes leur fait perdre.

Il y a en somme un lieu pour chaque comédien, où celui-ci est le plus à l’aise pour donner le meilleur de lui-même. Les plus doués se sentant chez eux et à l’aise partout, bien entendu.

Bref, tous les cas de figure existent…

Etant précisé, pour finir, que pour ce qui est du jeu, même s’il s’agit toujours de jouer la comédie (ce qui fondamentalement fait appel à chaque fois aux mêmes ressorts intimes), le principe n’est pas du tout le même en doublage qu’ailleurs. On se « contente » en effet d’y suivre le chemin qu’un autre a défriché pour nous, en somme. On n’a rien à « inventer » nous-mêmes, on nous montre la voie, il suffit de la suivre et de « copier ». C’est un défi spécial, et un peu paresseux, qui ne ressemble pas à ce qu’on doit faire dans les autres domaines, où nous devons créer le personnage de toutes pièces.